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Hugues DUMONT
Doyen de la Faculté de droit
des Facultés universitaires Saint-Louis
Bruxelles (Belgium)
I. Première session – Le statut constitutionnel et légal des entités fédérées en Belgique
Je vais structurer cette première intervention autour de trois points : 1° un bref survol historique ; 2° les facteurs explicatifs de la complexité du système fédéral belge qui réside essentiellement dans la superposition de deux catégories d’entités fédérées : les Communautés et les Régions; et 3° les grands principes qui régissent l’organisation et les compétences de ces Communautés et de ces Régions.
§1. Survol historique
La Constitution actuelle de la Belgique résulte des révisions successives dont la Constitution originaire du 7 février 1831 a fait l’objet, pour l’essentiel en 1893, 1920, 1970, 1980, 1988 et 1993. Toutes ces révisions se sont déroulées selon la même procédure en trois temps (art. 195 de la Constitution) : le pouvoir législatif national identifie d’abord les dispositions susceptibles d’être révisées (sans indiquer dans quel sens elles devront l’être); aussitôt après cette déclaration, les Chambres sont dissoutes et des élections sont organisées ; ce sont alors les nouvelles Chambres et le Roi (c’est-à-dire le gouvernement) qui peuvent décider de la révision et de son contenu, moyennant un quorum de présences et un vote à la majorité des deux tiers. L’efficacité et la légitimité de cette procédure qui n’a jamais été modifiée depuis 1831 et qui ne fait donc pas intervenir les collectivités politiques fédérées créées en 1970, sont actuellement l’objet d’une controverse dans le monde politique et parmi les constitutionnalistes.
Entre 1831 et 1970, l’Etat belge répond à toutes les caractéristiques d’un Etat unitaire décentralisé : les divisions territoriales qu’il comprend, à savoir les provinces et les communes, n’ont pas le pouvoir de faire la loi ; elles ne disposent que d’un pouvoir réglementaire et sont soumises à la tutelle de l’Etat. Le tournant en direction du fédéralisme date de 1970, mais ce n’est qu’à la suite de la révision de 1993, que l’Etat est explicitement qualifié de fédéral (art. 1er de la Constitution). La transformation de l’Etat belge unitaire en un Etat fédéral trouve son origine dans l’entrecroisement des revendications flamandes en faveur d’une autonomie culturelle et des revendications wallonnes en faveur d’une autonomie économique.
Les premières demandes explicites d’autonomie culturelle selon un schéma fédéral datent de 1937. Elles émanent de la partie nord du pays, celle qui regroupe les locuteurs de langue néerlandaise. Ces revendications s’exprimaient en réaction contre l’hégémonie à la fois culturelle et sociale de la langue française et de la bourgeoisie francophone qui, tout au long du 19ième et au début du 20ème siècle, avait caractérisé l’organisation de l’Etat, et singulièrement, les rapports entre le citoyen et l’administration. Ces revendications culturelles furent à l’origine de la création, en 1970, des trois Communautés (française, flamande et germanophone), qui constituent le premier type de collectivités politiques fédérées en Belgique.
Apparues dans les années 1960, les revendications en faveur d’une autonomie économique furent quant à elles originairement le fait de la Wallonie, qui, grâce à cette autonomie, espérait relancer son industrie vieillissante et déclinante. Ces revendications d’autonomie économique furent à l’origine de la création, en 1980, des trois Régions (wallonne, flamande et bruxelloise), qui constituent le second type de collectivités politiques fédérées belges.
A vrai dire, les révisions relatives à la structure de l'Etat n'ont guère reposé sur une doctrine fédérale cohérente. En effet, pendant les deux décennies 1970- 1980 au cours desquelles il a pris forme, le fédéralisme belge n'a jamais été perçu en Belgique comme un authentique projet politique commun sur lequel il y aurait eu un consensus proprement fondateur, mais seulement comme un mode de pacification pragmatique. En 1970, ceux-là même qui ont conçu et piloté la révision constitutionnelle étaient largement inconscients de l'inspiration objectivement fédérale de leurs réformes. Ils étaient influencés par le théoricien Carl Friedrich selon qui un Etat fédéral doit au moins comporter cinq entités fédérées. Or, la Belgique ne comprend que trois communautés et trois régions qui se superposent. Chacune des révisions constitutionnelles qui se sont succédé depuis lors peut s’analyser comme une réponse pragmatique inventée par les élites politiques pour résoudre une crise déterminée. Jamais, on ne s’est entendu sur un dessein global et cohérent dont la réalisation aurait eu la vertu de stabiliser les nouvelles structures de l’Etat.
Un des principaux obstacles qui empêchent le fédéralisme belge de reposer sur un modèle théorique stable et cohérent consiste dans le désaccord persistant sur le statut que la Région de Bruxelles-Capitale doit recevoir à terme. Dès 1970, les acteurs politiques flamands les plus influents ont fait de la division de l’Etat en deux grandes communautés, la Communauté flamande et la Communauté française, le point de départ de leur doctrine fédérale. Pour eux, Bruxelles n’est qu’un prolongement de la Flandre et de la Wallonie. Elle doit ne recevoir qu’un statut de capitale placée sous le contrôle de l’Etat. Les acteurs politiques francophones les plus influents privilégient au contraire la division de l’Etat en trois grandes régions, la Région wallonne, la Région flamande et la Région bruxelloise. C’est donc un compromis entre ces deux thèses qui est à la source du statut que la Région bruxelloise s’est vue accorder en 1988. Bruxelles est une des trois régions du pays, mais elle porte le titre de « Région-Capitale », un titre distinct qui correspond à quelques particularités techniques sur lesquelles on pourrait revenir au cours de notre discussion.
Comme on va le voir maintenant, c’est la présence à Bruxelles des deux grandes Communautés qui est à la source de la complexité du système fédéral belge.
§2. Les facteurs explicatifs de la complexité du système fédéral belge
Pour bien expliquer comment les pièces du « puzzle belge » s’agencent, je vais commencer par le plus simple et passer ensuite progressivement au plus complexe.
Trois langues officielles sont reconnues en Belgique : le néerlandais, le français et l’allemand (art. 4 et 189 de la Constitution). Les 10.309.795 Belges se répartissent en un peu plus de six millions de Flamands; un peu plus de quatre millions cent mille francophones; et une petite minorité d’un peu plus de septante et un mille germanophones (faute de recencement linguistique, on ne peut pas être plus précis).
Donc, si l’on fait abstraction de la minorité germanophone, les rapports de force déterminants de la vie politique belge sont bipolaires : cette vie est essentiellement animée par un duo -souvent conflictuel- « Flamandsfrancophones ». Il faut noter que cette bipolarité n’est pas seulement sociologique et politique. Elle se traduit dans plusieurs règles de droit. Ainsi, dans les Chambres fédérales, on distingue les deux groupes linguistiques français et néerlandais (art. 43 de la Constitution). Certaines lois dites spéciales –les plus importantes des lois fédérales en matière institutionnelle- doivent être adoptées à la majorité dans ces deux groupes linguistiques (art. 4 de la Constitution). Le Conseil des Ministres qui est le moteur de la vie politique de la fédération doit être paritaire : il doit compter autant de ministres d’expression française que d’expression néerlandaise (art. 99 de la Constitution). Cette parité est prévue aussi dans la haute fonction publique fédérale et dans les plus hautes juridictions. Jusque là, tout est simple.
Tout reste encore fort simple quand l’on rappelle que l’Etat fédéral belge comprend trois régions : la Région flamande qui se situe au nord du pays (5.972.781 Belges y sont domiciliés), la Région bruxelloise localisée au centre tout en étant géographiquement enclavée dans la Région flamande (elle comprend 978.384 Belges) et la Région wallonne au sud du pays (avec 3.358.560 Belges). Ces régions sont des divisions territoriales comme on en trouve dans tous les Etats fédéraux.
Le fédéralisme belge n’est compliqué qu’en raison de Bruxelles et de la minorité germanophone. En effet, les six millions de Flamands vivent dans la Région flamande et dans la Région bruxelloise. La plupart des quatre millions cent mille francophones vivent, eux, dans la même Région bruxelloise et dans la Région wallonne (toutefois, plus ou moins 100.000 francophones sont domiciliés dans la partie de la Région flamande la plus proche de Bruxelles). Quant aux septante et un mille germanophones, ils vivent aussi dans la Région wallonne, mais ils sont concentrés sur un petit territoire situé près de la frontière avec l’Allemagne.
A ces constatations, il faut ajouter une donnée supplémentaire qui est décisive pour notre explication: si les Flamands sont numériquement majoritaires à l’échelle de l’Etat belge, ils sont minoritaires dans la Région de Bruxelles. Or, c’est cette région qui abrite la capitale du Royaume. Si l’on prend comme critère les résultats électoraux, la Région bruxelloise comporte plus ou moins quatrevingt cinq pour cent de francophones et quinze pour cent de flamands.
C’est pour ce motif, on le comprend maintenant, que les Flamands n’ont jamais accepté que la Région bruxelloise puisse être une région comme les autres. Ils craignaient d’être minorisés si l’Etat belge n’était composé que de trois régions dont deux dominées par les francophones. Ils ont donc exigé et obtenu qu’à la différence de la Région flamande et de la Région wallonne, la Région de Bruxelles-Capitale soit placée, au moins de iure, dans certains liens de dépendance par rapport à l’Etat fédéral. Ils sont pour le même motif particulièrement attachés à la notion de Communauté.
Le fédéralisme belge trouve l’essentiel de son originalité dans l’existence de cette deuxième espèce de division : les divisions communautaires. A côté des trois régions, la Belgique comprend trois Communautés qui se superposent à ces trois régions : la Communauté flamande, la Communauté française et la Communauté germanophone.
Cette dernière communauté, la Communauté germanophone, est la plus simple à décrire : son territoire est formé par la « région de langue allemande » qui est constituée par la petite partie de la Région wallonne où se trouve concentrée la minorité germanophone.
La caractéristique majeure des deux autres communautés, les Communautés française et flamande, c'est d'avoir chacune une base territoriale propre — respectivement la région de langue française (qui correspond à la Région wallonne, déduction faite de la région de langue allemande qui constitue le ressort de la Communauté germanophone) et la région de langue néerlandaise (qui correspond à la Région flamande) — et, en plus, une extension territoriale commune : à savoir la Région de Bruxelles-Capitale qui coïncide avec la « région bilingue de Bruxelles-Capitale ». La sphère de compétence territoriale des Communautés française et flamande est très originale car, si leurs décrets s’appliquent aux institutions et aux personnes respectivement en région de langue néerlandaise et en région de langue française, ils s’appliquent aussi dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale, mais uniquement aux institutions. Ces deux Communautés agissent donc concomitamment dans cette région, mais de manière indépendante l’une vis-à-vis de l’autre. En pratique, les Bruxellois se voient appliquer les décrets de l’une ou de l’autre Communauté, en fonction de l’appartenance communautaire de l’institution à laquelle ils ont recours. En matière d’enseignement, par exemple, les parents seront tenus par les décrets de la Communauté flamande s’ils ont décidé d’inscrire leur enfant dans une école flamande. Si un autre de leurs enfants suit les cours dans l’enseignement francophone, ils seront tenus, pour ce qui concerne ce second enfant, par les décrets de la Communauté française. L’appartenance communautaire des Bruxellois n’est dès lors, ni directe, ni exclusive, ni définitive. La juxtaposition du champ de compétence des deux grandes Communautés sur le territoire bruxellois est l’un des exemples les plus évidents de la manifestation du fédéralisme personnel dans la structure institutionnelle belge.
La raison d’être de ces deux communautés française et flamande qui sont à la source de la complexité institutionnelle belge réside dans la volonté politique des Flamands de Flandre de s’unir institutionnellement avec les Flamands de Bruxelles pour gérer ensemble les matières communautaires qui intéressent les uns comme les autres, et dans la volonté symétrique des francophones de Wallonie de s’unir institutionnellement avec les francophones de Bruxelles pour gérer ensemble ces mêmes matières.
§3. Les grands principes qui régissent l’organisation et les compétences des Communautés et des Régions
Sur un plan strictement juridique, l’autonomie et l’égalité caractérisent en principe les relations mutuelles de ces collectivités fédérées et les relations que celles-ci entretiennent avec l’autorité fédérale. Les collectivités fédérées possèdent ainsi leurs propres autorités exécutives (gouvernements) et législatives (conseils), dans la composition et le fonctionnement desquelles l’autorité fédérale, comme telle, n’a pas le pouvoir d’interférer : cette composition et ce fonctionnement ressortissent exclusivement de la Constitution, des lois de réformes institutionnelles, et, le cas échéant, de l’ « autonomie constitutive » qui est reconnue à ces collectivités fédérées.
Chacune d’entre elles reçoit par ailleurs de la Constitution le pouvoir d’adopter des normes situées au même rang hiérarchique que la loi fédérale. On parlera de décrets, s’agissant de la Communauté française, de la Communauté flamande, de la Communauté germanophone, de la Région flamande et de la Région wallonne, et d’ordonnances, s’agissant de la Région de Bruxelles-Capitale. L’on notera que les collectivités fédérées, en Belgique, n’ont pas de pouvoirs juridictionnels : l’organisation, le fonctionnement et la compétence des cours et tribunaux relève en principe de l’autorité fédérale.
La répartition des compétences entre l’Etat belge et les collectivités fédérées que je viens de nommer obéit à deux grands principes. Premièrement, les Communautés et les Régions ne possèdent que les compétences qui leur ont été attribuées par la Constitution et des lois qualifiées de « spéciales ». Les compétences résiduelles appartiennent à l’Etat. La Constitution prévoit l’inversion de ce principe, mais cette inversion dépend de conditions qui ne sont pas remplies actuellement et qui n’ont que très peu de chances de l’être dans l’avenir. En réalité, il est inévitable que les compétences résiduelles appartiennent à la Fédération et non aux entités fédérées, dans la mesure où notre fédéralisme est le résultat d’un processus centrifuge de transformation d’un Etat initialement unitaire qui avait par hypothèse toutes les compétences.
Deuxième principe : toutes les compétences sont exclusives. A de très rares exceptions près, nous ne connaissons pas la catégorie des compétences concurrentes. L’explication de cette règle tient probablement dans la crainte que des compétences concurrentes engendreraient des tensions difficiles à gérer au sein du gouvernement fédéral. Comme on l’a dit, celui-ci comprend autant de ministres d’expression française que d’expression néerlandaise. Aussi, toutes les décisions fédérales d’exercer ou de ne pas exercer une compétence concurrente - et de limiter ou non, par conséquent, l’autonomie virtuelle des Communautés ou des Régions- seraient autant d’occasions de conflits susceptibles d’opposer les pôles flamand et francophone du Conseil des Ministres.